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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/275

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L’Abandonnée.

oreilles de tout homme, doit pourtant avoir un accent de sainte douceur. Je ne l’appellerai pas « père » ! Je ne lui pardonnerai ni ce qu’il a fait à ma mère, ni ce qu’il m’a fait à moi ! Il n’éprouve pas le besoin de ce pardon ?… Il ne peut pas, il ne peut pas ne pas l’éprouver ! Mais il n’aura pas de pardon, il ne l’aura pas ; non ! mille fois non !

Dieu sait si j’aurais tenu mon serment, si mon cœur ne se serait pas adouci, si je n’aurais pas surmonté ma timidité et mon orgueil… Mais les choses se passèrent avec Ivan Matveitch comme avec ma mère. La mort le surprit d’une façon tout aussi soudaine, également pendant la nuit. Ce fut encore M. Ratsch qui m’éveilla, et nous courûmes au manoir, dans la chambre à coucher d’Ivan Matveitch… Mais j’arrivai trop tard ; je ne vis même pas ces dernières vibrations de la vie agonisante qui, au lit de mort de ma mère, s’étaient gravées en traits ineffaçables dans mon souvenir. Sur des coussins garnis de dentelles se trouvait étendu un mannequin desséché, noirâtre, le nez pointu et les sourcils hérissés… Émue d’horreur et d’effroi, je poussai un cri, je me précipitai dehors. Sur le seuil, je rencontrai des hommes barbus, endimanchés, à ceintures rouges, et je ne sais plus comment je suis arrivée en plein air.

Il fut raconté plus tard que le valet de chambre, se hâtant au bruit violent de la sonnette, ne trouva pas Ivan Matveitch couché dans son lit, mais à deux pas de là, accroupi sur le parquet ; qu’Ivan s’écria