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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/288

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L’Abandonnée.

pas ainsi… souvenez-vous seulement qu’un frère a le devoir de défendre sa sœur, et si jamais vous avez besoin d’une protection contre qui que ce soit, comptez sur moi. Je ne suis ici que depuis peu, mais j’ai déjà deviné bien des choses… et j’ai deviné aussi votre beau-père. »

Il me serra la main de nouveau et sortit.

J’appris plus tard que, dès sa première entrevue avec M. Ratsch, Michel avait éprouvé pour ce dernier un sentiment de répugnance. M. Ratsch s’évertua d’abord à gagner les bonnes grâces du jeune héritier ; mais dès qu’il eut compris l’inutilité de ses efforts, il prit une attitude hostile. Il n’essaya même pas de cacher la chose devant Siméon Matveitch ; il en fit plutôt parade, en exprimant son regret de n’avoir pas mieux réussi auprès de Michel. M. Ratsch avait étudié à fond le caractère de Siméon Matveitch : il ne s’était pas trompé dans ses calculs. « Le dévouement de cet homme est au-dessus de tous les doutes, par la seule raison qu’après moi cet homme est perdu : mon héritier ne peut pas le souffrir. » Voilà l’idée qui se fixa, se pétrifia dans la cervelle du vieillard. On dit que les puissants de la terre se laissent prendre en vieillissant par les démonstrations d’un dévouement exclusif à leur personne.

Ce n’était pas pour rien que Siméon Matveitch appelait M. Ratsch son Araktchejeff… Il aurait pu lui donner un autre titre. « Tu es mon fidèle muet, » avait-il l’habitude de lui dire. Dès son arrivée il avait