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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/296

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L’Abandonnée.

Quelques minutes passèrent ainsi. Je ne bougeais pas ; sa respiration était toujours embarrassée.

« Restez assise », commença-t-il enfin, « et répondez-moi. Prouvez-moi que votre moralité n’est pas tout à fait perdue, que vous savez encore entendre la voix de la raison. Si vous vous êtes laissé entraîner, je puis pardonner ; mais une obstination persistante, jamais ! Mon fils… » Ici il s’interrompit. « Michel Simeonitch vous a promis de se marier avec vous, n’est-ce pas ? Mais répondez donc ! Vous l’a-t-il promis ? Eh bien ? »

Je ne répondis pas. Siméon Matveitch fut près de s’emporter encore.

« J’accepte votre silence comme un aveu », continua-t-il après une petite pause. « Ainsi, l’idée vous est venue de devenir ma belle-fille ? Parfaitement. Mais, sans m’arrêter au fait que vous n’êtes plus une enfant de quatorze ans, et que vous devez savoir comment tous ces jeunes blancs-becs prodiguent les promesses les plus insensées pour atteindre leur but… je veux me taire là-dessus, je l’ai dit et je le répète… réellement, avez-vous pu espérer que moi, moi Siméon Matveitch Koltowskoï, gentilhomme de vieille noblesse, je consentirais à un tel mariage ? Ou pensiez-vous vous tirer d’affaire sans la bénédiction paternelle ? Votre plan était-il de vous sauver, de vous fiancer secrètement, pour revenir ensuite jouer la comédie, vous jeter à mes genoux, comptant que le vieux se laisserait bien attendrir ? Mais répondez donc, que diable ! »