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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/295

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L’Abandonnée.

Frappée de terreur, je cherchai à me rapprocher de la porte. Ce fut en vain ! Les doigts de Siméon Matveitch m’entrèrent dans les bras comme des crocs de fer.

« Laissez-moi ! laissez-moi ! lui dis-je d’une voix suppliante.

— On vous l’a dit, pas un mouvement ! »

Puis Siméon Matveitch me fit asseoir. Je ne pouvais pas distinguer ses traits dans le clair-obscur ; d’ailleurs, je me tenais détournée de lui ; mais j’entendis qu’il respirait avec peine et qu’il grinçait des dents. Je ne ressentis ni crainte ni désespoir, mais quelque chose comme une stupeur immobile. C’est ainsi qu’un oiseau captif doit se glacer sous la serre du vautour… et la main de Siméon Matveitch me maintenait toujours fermement prisonnière.

« Aha ! » répéta-t-il, « aha !… C’est ainsi ! C’est à cela que nous voulions arriver… Eh bien, attends ! »

Je voulus me lever ; mais il me secoua si fort que je faillis crier de douleur ; puis il vomit un torrent de gros mots, d’injures et de menaces.

« Michel ! Michel ! Où es-tu ? Sauve-moi ! » sanglotai-je.

Siméon Matveitch me secoua encore… et cette fois je ne pus surmonter la douleur… Je criai à haute voix.

Ceci parut faire quelque impression sur lui. Il se calma un peu, lâcha ma main, mais s’arrêta entre moi et la porte, à deux pas de moi.