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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/298

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L’Abandonnée.

me demandez : « Où se trouve-t-il, cet avantage ? » Eh bien ! vraiment, vous n’avez pas à le chercher bien loin. Il est sous votre main peut-être… Me voilà, par exemple, moi. — En ma qualité de père, de chef de famille, je devais vous demander des comptes… Il fallait être sévère. C’était mon devoir, vous le savez. Je considère les choses au point de vue pratique, et naturellement je ne puis pas consentir à une semblable ineptie : il faut que des espérances irréalisables sortent de votre tête, car quel sens auraient-elles ? Je n’insiste pas même sur l’immoralité de votre démarche en elle-même… Tout cela, vous le comprendrez après y avoir réfléchi. Et, sans ostentation, je dois dire que je ne me bornerai pas à ce que j’ai déjà fait pour vous. J’ai toujours voulu, et maintenant encore je suis prêt à fonder votre bien-être, à vous procurer une aisance honorable, car je connais votre valeur, je rends justice à vos talents, à votre esprit, et enfin… (Ici Siméon Matveitch se pencha un peu vers moi) vous avez de petits yeux qui… je l’avoue… Je suis un homme âgé… vous me regardez avec une certaine hostilité… et puis… c’est difficile… c’est vraiment difficile à expliquer… surtout maintenant ! »

Je l’entendis, et un frisson parcourut mes veines. J’avais peine à en croire mes oreilles. Il m’avait semblé tout d’abord que Siméon Matveitch venait acheter ma renonciation à Michel, qu’il voulait m’offrir une compensation… Mais ces paroles !…. Mes yeux s’étaient habitués à l’obscurité, et je pus