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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/299

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L’Abandonnée.

distinguer la physionomie de Matveitch. Il souriait, ce vieux visage. Après avoir trottiné de côté et d’autre, Siméon s’arrêta devant moi.

« Eh bien ! » demanda-t-il, « ma proposition vous plaît-elle ?

— Votre proposition ?… » répétai-je involontairement… je ne le comprenais pas.

Siméon Matveitch poussa un éclat de rire… de son rire rusé et méchant.

« Certainement ! » s’écria-t-il, « Vous autres filles… (Il se corrigea) vous autres demoiselles… demoiselles… vous n’avez toutes qu’une chose en tête : de la jeunesse, toujours de la jeunesse ! Vous ne savez pas vivre sans amour ! C’est naturel. Il n’y a rien à dire. La jeunesse est une belle chose. Mais est-ce que les jeunes gens seuls savent aimer ?… Tel homme âgé a encore un cœur beaucoup plus chaud que tel autre plus jeune, et si un vieillard s’attache à quelqu’un, eh bien, alors c’est comme un roc ! C’est pour l’éternité ! Ce n’est plus une chose passagère, comme chez ces jeunes papillons qui se laissent emporter par le vent. Oui, oui, il ne faut pas traiter les vieillards par-dessus l’épaule ; ils ne sont pas à dédaigner ! Ils peuvent faire beaucoup ! beaucoup ! Il ne faut que savoir les prendre ! Oui… oui ! Et les vieux savent être aimables aussi ! Hi hi hi… ! » Siméon Matveitch se remit à rire. « Voyons, donnez-moi votre petite main… pour un essai seulement, comme un échantillon. »

Je bondis de mon siége, et, rassemblant toutes