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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/310

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L’Abandonnée.

main, mais je ne cessais, je l’avoue, d’observer Fustow, en regardant par-dessus les pages.

D’abord, il resta passablement calme, et ne fit que se tirailler de la main gauche les poils courts de sa petite barbe ; mais bientôt il laissa retomber cette main, se pencha en avant et ne bougea plus. Ses yeux volèrent sur les lignes ; sa bouche s’entr’ouvrit peu à peu. Quand il eut achevé sa lecture, il retourna le cahier, le contempla de tous les côtés, réfléchit un instant, se remit à lire, et parcourut encore le manuscrit d’un bout à l’autre. Puis il se leva, fourra le cahier dans sa poche et se dirigea vers la porte ; mais il revint et s’arrêta au milieu de la chambre.

« Qu’as-tu décidé ? demandai-je, sans attendre qu’il parlât.

— Je lui ai fait tort, grandement tort, dit-il d’une voix sourde. Je me suis conduit d’une manière… irréfléchie, ingrate, tout à fait inconvenante. J’ai ajouté foi… à ce Victor.

— Comment ? m’écriai-je, tu as cru ce Victor, que tu méprisais tant ? Et qu’a-t-il pu te dire ? »

Fustow croisa ses bras sur sa poitrine et resta détourné de moi. Je voyais bien qu’il avait honte.

« Tu dois te rappeler, reprit-il, non sans effort, que ce Victor avait parlé d’une pension. Ce malheureux mot s’était accroché à moi. C’est ce mot qui a tout fait. J’ai questionné Victor, et il…

— Et il… ?

— Il m’a raconté que le vieux… comment donc se nomme-t-il ?… Koltowskoï, avait assuré une pen-