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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/32

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mon homme quitta la porte et fit un pas ou deux vers moi, puis il me sembla qu’il sautait à pieds joints et se rapprochait encore… puis encore, puis encore… Ses yeux menaçants restaient obstinément fixés sur les miens, tandis que ses mains demeuraient croisées derrière son dos et qu’il respirait toujours plus fortement. Ces sauts me semblaient ridicules ; mais ma terreur n’en devenait pas moindre, et en même temps, ce que je ne puis m’expliquer, je me sentais pris de somnolence. Mes paupières se fermaient… Cette figure aux cheveux ébouriffés, aux yeux blanchâtres, parut se dédoubler devant moi… et aussitôt disparut… Je me secouai. Il était de nouveau entre la porte et moi, et toujours plus près… Puis encore il disparut… comme dans un brouillard… Un instant après, je le revoyais… Plus rien… Encore, le voilà, et plus près, toujours plus près !… sa respiration étranglée, devenue une espèce de râlement, tombait sur moi. De nouveau un brouillard confondit tout, et de ce brouillard je vois sortir des cheveux blancs peignés en arrière et la tête de mon vieux précepteur. Oui, voilà ses verrues, ses sourcils noirs, son nez crochu ; voilà son habit vert, ses boutons de métal, son gilet rayé et son jabot !… Je poussai un cri, et me levai de ma chaise… Le vieillard avait disparu, et à sa place je voyais l’homme à la redingote bleue. Il se dirigeait en chancelant vers la muraille, s’y appuya de la tête et des deux mains, et, râlant comme un cheval qui corne, il s’écria d’une voix sourde :