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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/323

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L’Abandonnée.

neau ne soit pas attelé, » dit en m’interrompant la servante qui entrait. C’était celle que j’avais rencontrée dans le vestibule. Son visage, toujours endormi, me frappa par cette expression d’insolente rudesse que les domestiques adoptent quand ils savent que leurs maîtres leur ont donné prise sur eux, et qu’ils n’oseront ni les bouder ni les punir.

« À l’instant ! à l’instant ! » s’empressa de répondre Ivan Demïanitch. — « Éléonore Karpowna ! chère Lenchen[1], venez ici, je vous en prie, venez ! »

Les mouvements d’un corps lourd se firent entendre derrière la porte, et presque au même moment retentit la voix impérieuse de Victor : « Pourquoi n’attelle-t-on point ? On ne veut pourtant pas que j’aille à pied à la police ?

— De suite ! de suite ! répéta Ivan Demïanitch du même air empressé. Éléonore Karpowna, venez donc !

— Mais, Ivan Demïanitch, répliqua la dame, ma toilette n’est pas présentable !

— N’importe ! entrez ! »

Elle entra, son peignoir ouvert sur le devant, serrant, avec deux de ses doigts, un petit fichu destiné à couvrir sa gorge. Elle n’avait pas eu le temps de se peigner.

Ivan Demïanitch vint avec vivacité à sa rencontre :

« Vous entendez, Victor demande le traîneau, »

  1. Diminutif allemand d’Éléonore. (N. du trad.)