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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/325

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L’Abandonnée.

— Je m’en vais, je m’en vais, murmura Éléonore, » et elle sortit en serrant toujours son petit fichu avec ses deux doigts et en continuant à verser de toutes petites larmes.

Je partis aussitôt après. Dans le vestibule je vis Victor en manteau d’étudiant avec col de castor, la casquette crânement plantée sur la tête. Il me dévisagea par-dessus l’épaule, affecta d’arranger son col et ne me salua point, ce dont je lui sus gré.

Je me rendis chez Fustow.

XXV

Je le trouvai assis dans un coin de sa chambre, la tête basse, les bras croisés sur la poitrine. Une sorte de torpeur l’avait saisi. Il regardait autour de lui avec cette expression hébétée propre aux personnes qu’on vient d’arracher à un profond sommeil, et qui fixent leur entourage sans le reconnaître parfaitement. Je lui racontai ma visite chez M. Ratsch, je lui rapportai les paroles du vétéran de l’an douze et de sa femme ; je lui décrivis l’impression que tous deux m’avaient laissée, et enfin je lui fis part de ma croyance à un suicide. L’expression de sa physionomie ne changea pas en m’écoutant : il continuait à promener partout ses yeux avec le même air ahuri.

« L’as-tu vue ? finit-il par me demander.

— Oui, je l’ai vue.

— Dans son cercueil ? »