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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/35

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attention et ses traits exprimaient cet étonnement pensif qui m’avait intrigué la première fois que je l’avais vue. Pas l’ombre de coquetterie dans toute sa personne ; jamais un sourire, et ces yeux fixés imperturbablement sur ceux de son interlocuteur, — ces yeux qui, dans ce moment même, semblaient voir autre chose que ce que tout le monde voyait… Étrange créature ! À la fin, ne sachant comment l’intéresser, l’idée me vint de lui raconter mon aventure de la veille.

Elle m’écouta avec une curiosité évidente ; mais, contre mon attente, elle ne montra aucune surprise à mon récit, et me demanda seulement si l’homme ne se nommait pas Vassili. Je me rappelai que la vieille l’avait appelé devant moi Vasinka. « Oui, répondis-je, il s’appelle Vassili ; le connaîtriez-vous ?

— Il y a ici un saint homme nommé Vassili, dit-elle. Je pensais que ce devait être lui.

— La sainteté n’a rien à voir ici, répliquai-je ; c’est un effet du magnétisme, un fait intéressant pour les docteurs et les naturalistes. »

J’essayai de lui exposer ce que c’est que cette force particulière qu’on appelle le magnétisme, au moyen de laquelle la volonté d’un individu est soumise à celle d’un autre individu, etc. ; mais, à dire la vérité, mes arguments un peu confus ne parurent faire aucune impression sur elle. Sophie m’écoutait, laissant tomber sur ses genoux ses mains croisées, qui tenaient un éventail. Elle était absolument immobile, aucun de ses doigts ne remuait, et il me