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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/76

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mener Kharlof. Mais celui-ci avait eu le temps d’enfourcher son droski et avait disparu.

Le lendemain matin, ma mère, que l’action bizarre de Kharlof, et plus encore l’expression anxieuse de ses traits, avaient également surprise et troublée, allait lui dépêcher un exprès, lorsqu’il apparut en personne. Il semblait un peu plus tranquille.

« Voyons, mon petit père, s’écria ma mère, dès qu’elle l’aperçut, qu’avais-tu l’autre jour ? Seigneur Dieu, ai-je pensé, est-ce que notre vieillard aurait souffert dans son entendement ?

— Je n’ai point souffert dans mon entendement, madame, répondit Kharlof, je suis au-dessus de cela, mais j’ai besoin de vous consulter.

— Sur quoi ?

— Seulement, je doute… Cela vous sera-t-il opportun ?

— Parle, parle, mon père, dit-elle aussitôt, mais simplement. Ne m’agite pas. À quoi bon cet : opportun ? Est-ce encore ta mélancolie qui est venue te reprendre ? »

Kharlof fronça le sourcil.

« Non, ce n’est pas ma mélancolie. Elle arrive au temps de la pleine lune. Mais permettez-moi de vous faire une question, madame. Que pensez-vous de la mort ? »

Ma mère fit un geste d’effroi.

« De quoi ? dit-elle.

— De la mort. Peut-elle, cette mort, épargner qui que ce soit dans le monde ?