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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/93

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grands yeux à la Junon. Pour Slotkine, c’est lui qui avait le plus changé de contenance. Une activité empressée se voyait dans tous ses mouvements ; on eût dit qu’il éprouvait comme un appétit violent. Il étirait ses bras, agitait fiévreusement ses épaules ; sa tête seule restait courbée.

Ayant achevé la cérémonie de la mise en possession, l’ispravnik, en prévision du déjeuner, se frottait déjà les mains, geste qui lui était familier avant le premier verre d’eau-de-vie. Mais Kharlof déclara qu’il voulait d’abord entendre les prières avec aspersion d’eau bénite. Le prêtre revêtit donc un surplis qui tombait en lambeaux, et un diacre non moins décrépit sortit de la cuisine en soufflant avec effort sur les charbons d’un vieil encensoir en cuivre. Les prières furent récitées. Kharlof ne cessait de pousser des soupirs ; comme son embonpoint l’empêchait de se plier jusqu’à terre, tout en faisant les signes de croix de la main droite, il désignait de la gauche l’endroit où son front se serait prosterné. Slotkine était à la fois tout rayonnant et tout en larmes. Gitkof se contentait d’agiter les doigts devant les boutons de son uniforme, comme le font ces messieurs de la garde impériale. Lisinski, en qualité de catholique, avait quitté la chambre. Quant au procureur, il priait avec tant de ferveur, il soupirait avec tant de componction en levant les yeux au ciel et en remuant les lèvres, que je fus pris aussi d’un accès de dévotion et me mis à prier avec frénésie. Les oraisons dites, et l’eau bénite distribuée en as-