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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/95

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rir ma sœur, votre épouse ; maintenant vous vous êtes détruit vous-même comme un chiffre barré… Ah ! ah ! ah !

— Comment osez-vous insulter notre vénérable bienfaiteur ! s’écria Slotkine, et, lâchant le bras de Kharlof, il se précipita sur Souvenir. « Savez-vous que, si notre bienfaiteur en témoignait le moindre désir, nous n’hésiterions pas à déchirer l’acte de donation que nous a octroyé sa munificence ? — Ça ne vous empêchera pas de le mettre le dos dans la neige, dit Souvenir en se tapissant derrière Lisinski.

— Silence ! cria Kharlof d’une voix tonnante. Si je te frappe, il ne restera qu’un peu de boue à la place que tu occupes. Et toi aussi, dit-il à Slotkine, ne fourre pas ton museau où l’on ne t’appelle pas. Si moi, moi Martin Petrovitch Kharlof, j’ai décidé que cet acte de donation fût fait, qui donc peut le détruire ? qui donc dans le monde entier peut s’opposer à ma volonté ?

— Martin Petrovitch, commença d’une langue épaisse le procureur (il avait aussi bu largement, mais cela n’avait fait qu’ajouter à sa gravité), si pourtant monsieur le gentilhomme avait dit une vérité… Vous venez d’accomplir une grande action… Si pourtant, ce qu’à Dieu ne plaise, au lieu de la reconnaissance qui vous est due, vous receviez je ne sais quel affront… »

Je jetai à la dérobée un regard sur les deux sœurs. Anna semblait dévorer des yeux l’homme de loi qui venait de parler, et certainement je n’ai jamais vu de