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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/96

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ma vie visage de femme plus méchant, plus venimeux et plus étrangement beau. Evlampia s’était détournée en se croisant les bras sur la poitrine ; mais un sourire plus méprisant que jamais tordait ses lèvres rosées. Kharlof se leva de sa chaise, ouvrit la bouche, mais la voix lui manqua ; il frappa la table du poing avec une telle force que tout sauta et tinta dans la salle.

« Père, s’empressa de dire Anna, monsieur ne nous connaît point : c’est pour cela qu’il parle ainsi. Daignez ne pas vous faire de mal ; vous avez tort de daigner vous fâcher. On dirait que votre visage se tord. »

Kharlof regardait Evlampia. Celle-ci ne dit mot, bien que son voisin de table, Gitkof, lui poussât le coude.

« Je te remercie, ma fille Anna, dit enfin Kharlof d’une voix sourde ; tu es une fille d’esprit. Je compte sur toi et sur ton mari. »

Slotkine poussa de nouveau un cri d’enthousiasme. Gitkof avança la poitrine et frappa du talon ; Kharlof ne sembla point faire la moindre attention à leurs efforts.

« Ce vagabond, continua-t-il en désignant Souvenir du menton, est heureux de me faire enrager. Quant à vous, monsieur le procureur, je vous dirai que vous n’êtes pas fait pour juger Martin Kharlof. Votre intelligence ne s’élève pas si haut. Vous êtes un homme gradué, mais vos paroles sont frivoles. La chose est faite ; ma décision ne changera pas.