Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/139

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— C’est le diable, en effet, murmurait-il entre ses dents, qui m’a suggéré l’idée d’aller chez cet homme. Voilà une belle pensée ! Elle ne m’a attiré que des insolences !

Quelque chose d’inusité se passait chez Daria. La maîtresse de la maison elle-même ne s’était pas montrée de toute la matinée et ne descendit qu’à l’heure du dîner. Pandalewski, le seul qui eût été admis en sa présence, assurait qu’elle souffrait d’un violent mal de tête. Roudine avait vu à peine Natalie, qui resta dans sa chambre avec mademoiselle Boncourt. En se trouvant à table en face de lui, elle l’avait regardé d’un air si navré, que le cœur de Dimitri Nicolaïtch en tressaillit. Les traits de la jeune fille étaient altérés comme si un malheur avait fondu sur elle depuis la veille.

Une vague tristesse, comme un pressentiment sinistre, commençait à troubler Roudine.

Pour se distraire, il s’était occupé de Bassistoff. En causant avec lui d’une façon un peu suivie, il trouva dans son interlocuteur un jeune homme vif et ardent, aux espérances enthousiastes, aux croyances encore vierges. Vers le soir, Daria apparut au salon. Elle fut aimable pour Roudine, tout en se tenant un peu sur la réserve. Tantôt elle souriait, tantôt elle fronçait le sourcil et parlait sourdement en lançant d’inquiétantes allusions… La femme du monde avait reparu complètement. Depuis quelques jours, elle avait manifesté une certaine froideur à l’égard de Roudine.