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Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/151

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ment ?… Vous êtes trop élevé pour moi, nous ne sommes pas égaux… Je suis punie comme je le mérite. Des occupations plus dignes de votre génie vous attendent. Je n’oublierai jamais ce jour… Adieu !

— Natalie ! vous partez ? Est-il possible que nous nous séparions ainsi ?

Il lui tendit la main. Elle s’arrêta. On aurait dit que cette voix suppliante la faisait hésiter.

— Non ! s’écria-t-elle enfin, — je sens que quelque chose s’est brisé en moi… Je suis venue ici, je vous ai parlé comme une personne en délire ; il faut que je rentre en possession de moi-même. Cela ne doit pas être ; vous l’avez dit vous-même, cela ne sera pas. Hélas ! j’avais fait en pensée mes adieux à ma famille quand je suis accourue en ce lieu. — Et pourtant, qui ai-je rencontré ici ? un homme sans courage… D’où savez-vous que je suis incapable de supporter une séparation avec la famille ? « Votre mère ne consentirait pas… C’est affreux !… » Voilà tout ce que vous avez trouvé à me répondre ! Était-ce vous, était-ce bien vous, Roudine ? Non ! Adieu… Ah ! si vous m’aviez aimée, je le sentirais maintenant… Non, non ; adieu !…

Elle se détourna rapidement, et courut vers Macha qui était depuis longtemps dans l’inquiétude et la rappelait par des signes.

— C’est vous qui avez peur, et non moi ! s’écria Roudine en la voyant partir.

Mais elle ne faisait plus attention à lui, et se hâtait de regagner la maison à travers les champs.