Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/168

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parla jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés à la station ; il parla de la dignité de l’homme, des conditions de la vraie liberté. Il fut plein de chaleur, de noblesse, de vérité, et quand, au moment de la séparation, Bassistoff ne put s’empêcher de se jeter à son cou en pleurant, Roudine versa aussi quelques larmes, mais il ne pleurait pas parce qu’il quittait Bassistoff. Ses larmes étaient des larmes d’amour-propre.

Natalie était rentrée chez elle pour lire la lettre de Roudine.

« Chère Natalie, lui écrivait-il, je me suis décidé à partir. Il ne reste pas d’autre issue à notre situation.

« Je me suis décidé à partir avant qu’on en vienne à me dire clairement qu’il faut que je m’éloigne… mon départ fera cesser tous les malentendus et personne ne me regrettera. À quoi bon hésiter encore ?… Tout cela est vrai, penserez-vous, mais alors pourquoi vous écrire ?

« Il est probable que je vous quitte pour toujours, et je vous écris parce qu’il m’est trop amer de penser que je vous laisserai un souvenir plus mauvais que ma conduite ne le mérite. Je ne veux ni me justifier, ni accuser qui que ce soit ; je veux seulement m’expliquer autant que cela m’est possible… Les événements des derniers jours ont été si inattendus, si subits…

« L’entrevue d’aujourd’hui restera pour moi comme une leçon mémorable. Oui, vous avez raison : je