Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/167

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Six heures sonnèrent enfin et on entendit venir le tarantass de Roudine. Il se leva vivement et fit ses adieux à tout le monde. Il était intérieurement fort mal à son aise. Il ne s’était pas attendu à sortir de la maison de cette façon ; en réalité, ne l’en chassait-on pas ? « Au reste, tout doit avoir une fin », pensait-il en s’inclinant à droite et à gauche avec un sourire forcé. Il jeta un dernier regard à Natalie et sentit son cœur se serrer ; les yeux de la jeune fille étaient fixés sur lui et leur dernier regard contenait un dernier reproche..

Il franchit rapidement l’escalier et se précipita dans le tarantass. Bassistoff s’était offert à l’accompagner jusqu’à la première station et avait pris place à côté de lui.

— Vous rappelez-vous, s’écria Roudine aussitôt que le tarantass fut sorti de la cour pour rouler sur une large chaussée bordée de sapins, vous rappelez-vous ce que disait don Quichotte à son écuyer, au moment de quitter la maison de la duchesse ? « Mon ami Sancho, lui disait-il, la liberté est un des biens les plus précieux de l’homme. Heureux celui auquel le ciel donne son pain quotidien, afin qu’il n’en soit redevable à personne ! » J’éprouve maintenant ce que don Quichotte éprouvait alors… Dieu fasse, mon cher Bassistoff, que vous ne connaissiez jamais le sentiment dont je veux parler !

Bassistoff serra la main de Roudine et le cœur de l’honnête jeune homme battit fortement dans sa poitrine généreuse. Roudine