Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/174

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et nul ne peut se dire malheureux qui ne les a senties couler de ses paupières. Natalie apprit à les connaître en ce jour.

Deux heures s’étaient passées. Natalie avait rassemblé ses esprits, elle s’était levée, avait essuyé ses yeux et allumé une bougie, à la flamme de laquelle elle se mit à brûler la lettre de Roudine. Lorsque le papier fut complètement consumé, elle en jeta les cendres par la fenêtre. Puis elle ouvrit au hasard un volume de poésies de Pouchkine et lut les premières lignes qui lui tombèrent sous les yeux (elle avait souvent consulté ainsi ce livre au hasard) :

Celui que la passion a une fois maîtrisé

Est sans cesse poursuivi par le fantôme
Des jours irrévocablement passés…
Pour lui la vie a perdu son charme,

Il est rongé par le remords et par le serpent du souvenir.

Elle resta un instant debout, se regarda au miroir avec un sourire glacé, inclina lentement la tête de haut en bas et rentra dans le salon.

Aussitôt que Daria l’eut aperçue, elle l’appela dans son boudoir, la fit asseoir à côté d’elle, lui caressa tendrement la joue et la regarda dans le blanc des yeux tout en l’observant avec attention, presque avec curiosité. Daria ressentait une secrète perplexité. Pour la première fois de sa vie, elle était frappée de l’idée qu’elle ne connaissait pas la nature de sa fille. Instruite par Pandalewski de son entrevue avec Roudine,