Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/175

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elle ne s’était pas seulement fâchée, mais étonnée de ce que la sage Natalie se fût décidée à une démarche pareille. Pourtant, quand elle l’eut appelée et qu’elle eut commencé à la gronder, non avec le ton d’une femme élevée dans les idées de l’Europe vraiment civilisée, mais d’une voix criarde et vulgaire, Daria fut toute troublée et presque effrayée par la fermeté des réponses et la résolution du regard et de la tenue de sa fille. Le départ subit de Roudine, dont elle ne s’expliquait pas tout à fait la cause, lui avait ôté un grand poids du cœur, mais elle s’était attendue à des larmes, à des attaques de nerfs… L’apparente tranquillité de Natalie la rejetait dans de nouvelles suppositions.

— Eh bien ! enfant, lui demanda Daria, comment te sens-tu aujourd’hui ? Natalie regarda sa mère. Le voilà parti… ce monsieur. Ne sais-tu pas pourquoi il s’est enfui si vite ?

— Maman, répondit Natalie d’une voix calme, si vous ne m’en parlez pas vous-même, je vous donne ma parole que son nom ne sortira jamais de ma bouche.

— Il paraît que tu conviens enfin de tes torts envers moi. Natalie baissa la tête et répéta :

— Vous ne m’entendrez jamais parler de lui.

— C’est bien, répliqua Daria en souriant, je te crois. Mais te rappelles-tu comme l’autre jour…