Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/178

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non plus Lipina, mais désormais madame Lejnieff, est assise sur son balcon. Il y a déjà plus d’un an qu’elle a épousé Michaël Michaëlowitch. Elle est toujours aussi charmante qu’autrefois ; seulement elle a pris un peu d’embonpoint. Le balcon communique par quelques marches avec le jardin, où une nourrice promène dans ses bras un petit enfant aux joues vermeilles, revêtu d’un manteau blanc et coiffé d’un chapeau orné d’un pompon de même couleur. Alexandra ne le quitte point des yeux. L’enfant ne crie pas, il suce son pouce gravement et regarde autour de lui d’un air tranquille. Tout en lui dénote déjà le fils de Michaël Michaëlowitch.

Notre ancienne connaissance Pigassoff est assis sur le balcon à côté d’Alexandra.

Il a beaucoup maigri et grisonné depuis que nous l’avons perdu de vue. Son dos s’est voûté et il siffle en parlant, à cause de la perte d’une de ses dents tombée depuis peu. Ce sifflement ajoute encore à l’âcreté de ses discours. L’extrême irritabilité de son caractère n’a pas diminué avec les années, mais son esprit s’est émoussé et le misanthrope se répète plus souvent qu’autrefois. Michaël n’est pas à la maison, on l’attend pour prendre le thé. Le soleil est déjà couché. Il a laissé en disparaissant une raie couleur d’or pâle qui s’étend tout le long de l’occident, tandis que le côté opposé du ciel se borde de deux lignes de nuances diverses : l’une, la plus basse, tirant sur le bleu ; l’autre, la plus élevée, d’un rouge violacé. Des