Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/191

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à ses espérances, à ses aspirations, à sa naïve confiance, à son honnêteté, en un mot, à tout ce qui faisait battre nos cœurs de vingt ans ! Nous ne connaissons et nous ne connaîtrons jamais rien de meilleur dans la vie. Je bois à toi, temps doré ; je bois à la santé de Roudine !

Tout le monde trinqua avec Lejnieff. Bassistoff y mit tant d’ardeur qu’il fut sur le point de renverser son verre ; il le vida néanmoins d’un trait, tandis qu’Alexandra serrait la main de son mari.

— Je ne vous savais pas aussi éloquent, monsieur Lejnieff, murmura Pigassoff. Vous êtes de la force de monsieur Roudine. J’avoue que j’en suis moi-même tout ému.

— Je ne suis nullement éloquent, répliqua Lejnieff avec quelque dépit. Quant à vous émouvoir, je crois que c’est fort difficile. D’ailleurs en voilà assez sur Roudine. Parlons d’autre chose. Est-ce que… comment s’appelle-t-il donc ? est-ce que Pandalewski demeure toujours chez Daria ? continua-t-il en s’adressant à Bassistoff.

— Certainement ! elle lui a même procuré une place avantageuse. Lejnieff hocha la tête.

— En voilà un qui ne mourra pas dans la misère, c’est un pari qu’on peut faire à coup sûr. Le souper tirait à sa fin. Les convives se séparèrent.

Restée seule avec son mari, Alexandra le regarda dans les yeux en souriant.