Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/195

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qui s’était arrêté. Chétif Moscovite ! continua-t-il d’une voix grosse d’injures, en hochant la tête et en reprenant sa marche.

— Où vas-tu donc encore ? cria le paysan en tirant par saccades les rênes du cheval de brancard. Ah ! la méchante bête que voilà !

Les petits chevaux harassés arrivèrent enfin, clopin-clopant, dans la cour de la maison de poste. Roudine sortit de la kibitka, paya son conducteur, qui ne le salua pas mais en revanche fit longtemps sauter l’argent dans la paume de sa main – le pourboire ne lui semblait sans doute pas suffisant –, tandis que le voyageur portait lui-même sa valise dans la salle d’attente.

Un de mes amis qui a parcouru la Russie dans tous les sens m’a fait remarquer que, si les murs de la salle des voyageurs étaient ornés de tableaux représentant un prisonnier du Caucase ou des généraux russes, on pouvait espérer y trouver facilement des chevaux ; mais que si les tableaux étaient tirés de la vie du fameux joueur Georges de Germany, il y avait peu de chances de pouvoir partir promptement de l’hôtellerie. En pareil cas, le malheureux voyageur a le loisir d’admirer tout à son aise le toupet poudré, le gilet blanc à revers, les pantalons fabuleusement étroits et courts que portait le joueur au temps de sa jeunesse, et d’étudier son visage en délire, au moment où, déjà parvenu à la vieillesse et demeurant dans une chaumière