Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/196

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délabrée, il tue son propre fils en l’assommant avec une chaise. Roudine était entré dans une chambre que décoraient justement les tableaux en question ; tous s’efforçaient de représenter les principales scènes de Trente ans, ou la vie d’un joueur. Les cris de Dimitri firent apparaître un maître de poste tout endormi – avez-vous jamais vu un maître de poste qui ne fût pas endormi ? – Sans avoir même attendu la question de Roudine, il lui dit d’une voix traînante qu’il n’avait pas de chevaux.

— Comment pouvez-vous me dire qu’il n’y a pas de chevaux sans même savoir où je vais ? répliqua Roudine. Je suis arrivé avec un attelage de paysan.

— Nous n’avons un seul cheval, reprit le maître de poste. Où allez-vous ?

— A…sk.

— Il n’y a pas de chevaux, répéta le maître de poste en quittant la chambre.

Roudine s’approcha de la fenêtre avec dépit et jeta sa casquette sur la table. Sans avoir beaucoup changé, il avait cependant vieilli depuis deux ans ; quelques fils argentés brillaient dans sa chevelure bouclée ; ses yeux étaient toujours beaux, mais leur flamme s’était presque éteinte ; de petites rides, suite de l’inquiétude et du chagrin, plissaient les coins de sa bouche et de ses yeux, et sillonnaient ses tempes. Ses habits étaient vieux et usés, et l’on devinait trop qu’il n’avait pas de linge. Les beaux jours étaient évidemment passés pour lui : il montait en graine, comme disent les jardiniers.