Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/215

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Où donc m’as-tu conduit, ô ma jeunesse ? Je n’ai plus où reposer ma tête… » Et pourtant, est-ce possible que je ne sois plus bon à rien ? Est-ce possible qu’il n’y ait rien à faire ici-bas pour moi ? Je me suis souvent posé cette question, et quels que soient les efforts que je fasse pour m’humilier à mes propres yeux, je ne puis m’empêcher de me sentir animé d’une force peu commune. Pourquoi donc cette force reste-t-elle impuissante ? Il y a un fait qui m’étonne. Te rappelles-tu nos voyages ensemble à l’étranger ? J’étais alors présomptueux et menteur. Alors, certainement, je ne me rendais pas bien compte de ce que je voulais, je m’enivrais du son de mes propres paroles, je poursuivais des chimères. À l’heure qu’il est, au contraire, je puis dire hautement devant le monde entier quels sont mes désirs. Je n’ai décidément plus rien à cacher ; je suis complètement, et dans la véritable acception du mot, un homme bien intentionné ; j’ai rabaissé mes prétentions, je veux me conformer aux circonstances, j’ai restreint mes vœux, je tends au but le plus rapproché, je me tiens au plus petit service à rendre, et cependant rien ne me réussit. Quelle est la raison de cet insuccès persistant ? Qu’est-ce qui m’empêche de vivre et d’agir comme les autres ? À peine ai-je le temps de me faire une position définie, à peine puis-je m’arrêter sur un point donné, que le sort semble me précipiter hors de la voie commune. Pourquoi tout cela ? donne-moi la solution de cette énigme !