Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/291

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

la suite d’un ordre de Saint-Pétersbourg, qu’il était parti sans avoir fait aucune proposition ni à Cyril Matvéitch ni à sa femme, et que Lise passerait le reste de ses jours à pleurer sa perfidie. Ce départ du prince fut complètement inattendu, car mon domestique affirma que la veille encore le cocher ne se doutait nullement des intentions de son maître. Cette nouvelle me donna la fièvre. Je m’habillai à la hâte avec l’intention de courir chez les Ojoguine ; mais après quelques réflexions il me sembla qu’il serait plus convenable d’attendre au lendemain. Je ne perdis pas d’ailleurs à rester à la maison. Un certain Pandopipopoulo m’arriva ce soir-là même. C’était un Grec de passage, un bavard de la pire espèce, qui s’était embourbé par hasard dans la ville d’O… et avait été des plus indignés contre moi lors de mon duel avec le prince. Sans même donner à mon domestique le temps de l’annoncer, il se précipita de vive force dans ma chambre, me serra la main, me fit mille caresses, m’appela un modèle de générosité et de bravoure, dépeignit le prince sous les couleurs les plus sombres, ne ménagea pas les vieux Ojoguine, que le sort, selon lui, n’avait que justement punis, désapprouva même Lise en passant, et se sauva après m’avoir baisé sur l’épaule. Il m’avait appris, entre autres choses, que la veille de son départ le prince, en vrai grand seigneur, à une délicate allusion de Cyril Matvéitch, avait répondu froidement que son intention n’était de tromper personne, et qu’il ne pensait nullement