Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/303

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je regarde autour de moi avec une attention avide. Chaque objet me devient doublement cher. Je ne puis assez contempler ma pauvre chambre si peu gaie, je prends congé de chaque petite tache sur mes murs ! Rassasiez-vous, mes yeux, pour la dernière fois ! La vie m’échappe ; elle s’éloigne de moi avec une lente régularité, comme le rivage qui fuit le regard du marin. Figure vieille et jaune de ma garde-malade qu’enveloppe un mouchoir foncé, samovar qui chantez sur la table, géraniums qui garnissez ma fenêtre ; toi, Trésor, mon pauvre chien ; toi, plume, avec laquelle je trace ces lignes, mains qui m’appartenez, je vous vois tous à présent… Vous êtes là… vous voilà… Se pourrait-il… qu’aujourd’hui peut-être…, que jamais je ne vous revoie plus ? Il est difficile à un être vivant de se dépouiller de la vie ! Pourquoi me caresses-tu, pauvre chien ? Pourquoi frottes-tu ta poitrine contre mon lit ? Pourquoi serres-tu convulsivement ta queue entre tes pattes, sans pouvoir détacher de moi tes bons yeux mélancoliques ? Me plaindrais-tu ? ou bien sentirais-tu peut-être que ton maître ne sera bientôt plus ? Ah ! que ne m’est-il donné de reporter ma pensée sur tous mes souvenirs, comme je laisse errer mes yeux sur tous les objets de ma chambre !…

Je sais que ces souvenirs sont tristes et insignifiants : mais je n’ai que ceux-là… Un vide, un vide affreux, comme disait Lise…

Mon Dieu ! mon Dieu ! je vais mourir… Ce cœur avide et capable d’amour va bientôt cesser de battre… Est-il possible qu’il se taise à jamais sans avoir une