Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/328

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Chacun peut vérifier l’exactitude de cette observation. Plus on connaît le visage des personnes et plus il est difficile de se le représenter, plus l’impression reste vague : on se le rappelle, mais on ne le voit pas. On ne peut jamais faire apparaître ainsi son propre visage. Les plus petits détails des traits sont bien connus, mais on ne peut s’en figurer l’ensemble. Je m’assis donc en me couvrant les yeux ; aussitôt je vis mon inconnue et son compagnon, et leurs chevaux, et tout… Le visage souriant du jeune homme se présentait surtout d’une façon bien précise. Je me mis à le contempler ; il s’obscurcit et finit par se perdre dans un lointain rougeâtre, et son image à elle disparut également et ne voulut plus reparaître. Je me levai. – Eh bien ! me dis-je, il me reste à savoir leurs noms. – Essayer de savoir leurs noms, quelle curiosité déplacée et futile ! Mais je jure que ce n’était pas la curiosité qui me consumait ; il me semblait réellement impossible que je ne finisse point par découvrir au moins qui ils étaient, après que le sort m’avait si étrangement et si obstinément mis en rapport avec eux. Du reste, je ne sentais plus en moi la première impatience de l’incertitude ; cette incertitude s’était changée en un sentiment vague et triste dont je rougissais un peu : j’étais décidément jaloux.

Je ne me hâtai plus de retourner à l’habitation. Je dois avouer que j’avais honte de chercher à pénétrer les secrets d’autrui. De plus, l’apparition du couple amoureux au grand jour et à la lumière du soleil,