Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/337

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avec lui. Il lui arrivait de sortir dans la cour, de regarder fixement la maison, de hocher la tête, puis de soupirer… La veille de son malheur, il vint encore chez nous et m’appela. J’allai avec lui. Nous arrivâmes ensemble dans sa chambre ; il s’assit sur son petit banc, puis se leva et sortit. J’attendis ; mais, ne le voyant pas revenir, j’allai dans la cour et me mis à crier : « Mon oncle, mon petit oncle ! » Il ne répondait pas. « Où donc peut-il être allé ? me demandai-je. Peut-être dans la maison ». Et j’entrai dans la maison. Il commençait à faire nuit. Je passai devant le garde-meuble et j’entendis quelque chose qui grattait comme un rasoir sur une barbe. Je pousse la porte, elle s’ouvre, et que vois-je ? Je le vois accroupi auprès de la fenêtre. « Que veux-tu donc faire là, mon petit oncle ? » lui demandai-je. Et lui de se retourner et de crier. Ses yeux étaient hagards, ils étincelaient comme des yeux de chat. « Qu’est-ce que tu veux ? Ne vois-tu donc pas que je me rase ? » Et sa voix était comme enrouée. Mes cheveux se dressèrent sur ma tête, la peur me prit. Peut-être les diables l’entouraient-ils déjà. « Dans cette obscurité !… » lui répondis-je. Et mes genoux commencèrent à trembler sous moi. « Eh bien ! dit-il, va-t’en ». Je m’en allai. Et il quitta le garde-meuble en fermant la porte avec soin. Alors nous retournâmes dans l’aile ; la peur à l’instant même m’abandonna. « Que vas-tu donc faire dans le garde-meuble, mon petit oncle ? » lui dis-je. Un frisson le saisit. « Tais-toi, dit-il, tais-toi ». Et il se coucha sur le poêle. « Bon,