Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/342

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toutes manières de prendre une contenance dégagée et indifférente, une romance italienne ?… Elle commence ainsi : Passa que’i colli.

– Je la connais, répondit tout simplement Mlle Pélagie.

Vous voulez que je vous la chante ? Volontiers. Elle s’assit au piano. Je fixai, comme Hamlet sur son beau-père, mes regards sur Chlikof. Je crus m’apercevoir qu’elle avait tressailli légèrement dès le premier son ; elle resta pourtant tranquillement assise jusqu’à la fin. Mlle Badaef ne chantait pas mal. La romance achevée, on lui demanda de chanter autre chose ; mais les deux sœurs se firent un signe d’intelligence et se retirèrent peu d’instants après. Lorsqu’elles sortirent de la chambre, j’entendis murmurer autour de moi le mot : importun !

– Je l’ai mérité ! pensai-je. Je ne les revis plus. Une autre année se passa. Je m’étais établi à Pétersbourg.

L’hiver arriva ; les bals masqués commencèrent. Un soir, je sortais vers onze heures de la maison d’un de mes amis ; je me trouvais dans une si ténébreuse disposition d’esprit, que je résolus d’aller au bal masqué de l’assemblée de la noblesse. J’errai longtemps devant les colonnes et les glaces avec une expression modestement fataliste, – expression que, selon moi, on remarque en de pareilles occasions sur le visage des plus honnêtes gens : Dieu seul sait pourquoi. – J’errai longtemps ainsi, tâchant de me