Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/51

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— Ah ! ah ! c’est là que vous tendez, répondit Pigassoff d’une voix traînante. Je suis un homme pratique, je m’enorgueillis du titre d’homme pratique, et je ne donne pas dans toutes ces finesses métaphysiques ; je ne veux pas m’y laisser entraîner.

— C’est votre droit. Mais remarquez cependant que ce désir d’être un homme exclusivement pratique est déjà une espèce de système, de théorie…

— Civilisation, dites-vous ! continua Pigassoff sans écouter. C’est avec cela que vous voulez nous émerveiller. À quoi est-elle bonne cette civilisation tant prônée ! Je n’en donnerais pas un sou pour mon compte.

— Mais que vous discutez mal ! Africain Siméonowitch, interrompit Daria Michaëlowna, qui était intérieurement fort satisfaite du calme et de l’exquise politesse de sa nouvelle connaissance. C’est un homme comme il faut, pensa-t-elle en regardant Roudine avec une expression bienveillante ; il faut l’apprivoiser.

— Je ne veux pas défendre la civilisation, continua Roudine après s’être tu un instant. Elle n’a que faire de ma défense. Vous ne l’aimez pas… chacun son goût. De plus, cela pourrait nous mener trop loin. Permettez-moi seulement de vous rappeler le vieux dicton : « Tu te fâches, Jupiter, donc tu as tort. » Je veux dire que toutes ces attaques contre les systèmes, les idées universelles, etc., sont surtout affligeantes parce qu’en niant les systèmes on est généralement