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Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/52

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amené à nier la plupart du temps le savoir, la science, et à perdre la foi qu’elles inspirent, c’est-à-dire la foi en soi-même, en sa propre force. Cette confiance est nécessaire aux hommes. On ne peut vivre d’impressions seules. C’est une mauvaise chose que de redouter la pensée et de ne pas croire en elle. Le scepticisme ne conduit qu’à la stérilité et à la faiblesse…

— Ce ne sont là que des paroles, murmura Pigassoff.

— C’est possible ; mais permettez-moi de vous faire observer qu’en disant « ce ne sont que des paroles », nous cherchons souvent à échapper à la nécessité absolue de dire quelque chose de plus sensé que ces mêmes paroles.

— Comment ? dit Pigassoff en fronçant le sourcil.

— Vous comprenez ce que je veux dire, répondit Roudine avec une impatience involontaire qu’il réprima aussitôt. Je le répète, si un homme n’a pas de principes arrêtés auxquels il croit, s’il n’a pas un terrain pour s’y appuyer solidement, comment pourra-t-il se rendre compte des besoins, de la destinée, de l’avenir de son pays ? Comment pourrait-il savoir ce qu’il doit faire lui-même, si…

— Je vous cède la place ! dit brusquement Pigassoff en saluant et en se retirant dans un coin sans regarder personne.

Roudine lui jeta un regard, sourit légèrement et se tut.