Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/54

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à trouver en lui un homme remarquable. Il était si mal vêtu, on parlait si peu de lui ! Il semblait à tous étrange et même incompréhensible qu’un homme de tant d’esprit pût ainsi apparaître subitement à la campagne. Roudine les étonnait d’autant plus ; on peut même dire qu’il les ensorcelait tous, à commencer par Daria Michaëlowna… Elle était fière de sa nouvelle connaissance, et songeait déjà d’avance à la manière dont elle allait le patronner dans le monde, car, malgré son âge, elle était très-enthousiaste dans ses premières impulsions. Alexandra Pawlowna, à vrai dire, n’avait compris que peu de chose aux discours de Roudine, mais elle n’en était pas moins surprise et enchantée. Son frère partageait ses sentiments. Pandalewski observait Daria et était jaloux. Pigassoff se disait à lui-même : « Pour cinquante roubles je pourrais acheter un rossignol qui chanterait encore mieux ! » Mais Bassistoff et Natalie étaient les plus fortement impressionnés. La respiration de Bassistoff en était presque arrêtée ; il restait assis, bouche ouverte, écarquillait ses yeux et écoutait, comme il n’avait jamais écouté de sa vie. Quant à Natalie, son visage se couvrait d’une faible rougeur, et son regard, devenu à la fois plus profond et plus clair, se fixait immobile sur Roudine.

— Comme il a de beaux yeux ! lui chuchota Volinzoff.

— Oui, fort beaux.

— Mais c’est dommage que ses mains soient si grandes et si rouges.