nait aux conseils de son intendant, petit vieillard borgne et sans scrupule, aussi adroit que doucereux. « Ce qui est vieux est gras, et ce qui est neuf est maigre », disait-il en souriant d’un air calme et en clignant de l’œil.
Daria exceptée, c’était avec Natalie que Roudine causait le plus souvent et le plus longuement. Il lui donnait des livres en secret, lui confiait ses plans, lui lisait les premières pages des articles ou des compositions qu’il projetait. Elle n’en saisissait pas toujours le sens, mais Roudine paraissait se soucier assez peu d’être compris, pourvu qu’on l’écoutât. Son intimité avec Natalie n’était pas tout à fait du goût de Daria, mais elle se disait : « Laissons-les causer ensemble à la campagne ; comme jeune fille elle l’amuse, le mal n’est pas grand, et son esprit y gagnera… J’y mettrai ordre lorsque nous retournerons à Pétersbourg. » Daria se trompait. Roudine ne causait pas avec Natalie comme on cause ordinairement avec une jeune fille. Elle, de son côté, écoutait avidement ses discours, essayait d’en pénétrer le sens, l’interrogeait sur ses propres idées, et lui soumettait ses doutes. Il était son initiateur, son guide. Pour le moment c’était sa tête seule qui bouillonnait ; mais une jeune tête ne bouillonne pas longtemps sans que le cœur s’en mêle. Qu’ils étaient doux à Natalie les instants écoulés sur le banc du jardin, à l’ombre légère et transparente des frênes, lorsque Roudine se mettait à lui lire le Faust de Gœthe, les Lettres de Bettina ou de Novalis, et qu’il