Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/92

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s’arrêtait complaisamment pour lui expliquer ce qu’elle trouvait obscur ! Comme la plupart de nos jeunes personnes russes, Natalie parlait assez mal l’allemand, mais elle le comprenait fort bien. Quant à Roudine, il se plongeait dans le monde romantique et philosophique de l’Allemagne, et entraînait Natalie avec lui dans ces régions idéales. C’était un monde inconnu et sublime qui s’ouvrait aux regards attentifs de la jeune fille. Des pages que lisait Roudine s’échappaient de merveilleuses images ou grandioses ou touchantes, des pensées neuves et lumineuses qui pénétraient l’âme de Natalie comme des flots d’une musique enchanteresse, tandis que la sainte étincelle de l’enthousiasme brûlait lentement son cœur ému.

— Dites-moi donc, Dimitri Nicolaïtch, lui demanda-t-elle un jour qu’elle était assise à la fenêtre devant son métier à broder, si vous comptez aller cet hiver à Pétersbourg.

— Je n’en sais rien, répondit Roudine en laissant retomber sur ses genoux le livre qu’il avait à la main ; j’irai si j’en trouve les moyens.

Il parlait avec nonchalance ; toute la matinée il avait paru fatigué et mélancolique.

— Il me semble que vous en trouverez les moyens.

Roudine hocha la tête.

— Le croyez-vous ? — Et il jeta de côté un regard significatif.

Natalie voulut dire quelque chose, mais elle s’arrêta.

— Regardez, reprit Roudine en étendant la main