Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/109

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— Madame a raison, remarqua un autre général avec un visage avenant, presque de jeune fille. Pourquoi éviterions-nous ces questions… même à Baden ? — En prononçant ces paroles il se tourna poliment du côté de Litvinof avec un sourire de condescendance. — Jamais et en nulle circonstance, l’homme comme il faut ne doit sacrifier ses convictions. N’est-il pas vrai ?

— Certainement, — répondit l’irascible général, en jetant également les yeux sur Litvinof, mais avec sévérité comme s’il lui adressait une semonce indirecte, — pourtant je ne vois pas de nécessité…

— Non, non, interrompit avec la même douceur l’indulgent général. Voilà notre ami Valérien Vladimirovitch qui a fait allusion à la vente des biens des nobles. Eh bien ! n’est-ce pas un fait ?

— Mais il est impossible maintenant de les vendre, personne n’en veut ! s’écria l’irascible général.

— C’est possible, c’est possible. Raison de plus pour constater ce fait… ce déplorable fait. Nous sommes ruinés — c’est ravissant ; nous sommes humiliés — c’est indiscutable ; mais nous demeurons de grands propriétaires, nous représentons un principe. Soutenir ce principe, voilà notre devoir. Pardon, madame, il me semble que vous avez laissé tomber votre mouchoir. Quand un certain aveuglement s’empare des esprits les plus élevés, des personnes les plus haut placées, nous devons signa-