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INTRODUCTION

PAR CHARLES SAROLEA


I.


La littérature russe est la littérature héroïque par excellence. Aucune n’a porté plus haut la dignité de la condition d’écrivain. L’écrivain russe est à la fois homme de pensée et homme d’action. Il a charge d’âmes, il exerce un apostolat. Le livre russe au 19e siècle, comme le livre français au 18e, a été le principal et presque le seul instrument de libération politique et sociale. Le livre en Russie tenait lieu du journal, de la chaire et de la tribune, car sous le régime autocratique la presse était bâillonnée, car l’Église avait vendu son droit d’aînesse pour un plat de lentilles, car la Douma n’existait pas.

Rien n’est plus triste et plus tragique et plus monotone et, tout à la fois, plus émouvant et plus glorieux que la biographie des écrivains russes. Presque toutes ces vies se ressemblent. Quel martyrologe lamentable ! Radischef, un des premiers qui aient osé flétrir les horreurs du servage, exilé