Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/142

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mikhailovitch, croyez-moi : si j’avais pu imaginer que j’avais conservé sur vous une ombre d’influence, j’aurais été la première à vous éviter. Si je ne l’ai pas fait, si je me suis décidée, malgré… mes fautes passées, à renouer connaissance avec vous, c’est parce que… parce que…

— Parce que ? répéta presque durement Litvinof.

— Parce que, reprit Irène avec une subite énergie, je n’en pouvais plus, j’étouffais déjà trop dans ce monde, dans cette position enviable dont vous me parlez ; parce que, rencontrant un homme vivant au milieu de tous ces mannequins, — vous avez pu en avoir l’autre jour un échantillon au Vieux-Château, — il m’a fait l’effet d’une source dans un désert… et vous m’appelez coquette, vous me soupçonnez, vous me repoussez sous le prétexte que j’ai été réellement coupable envers vous et encore davantage envers moi-même.

— Vous avez vous-même choisi votre lot, Irène Pavlovna, répondit d’un air farouche Litvinof, toujours sans détourner la tête.

— Moi-même… je ne me plains pas, je n’ai pas le droit de me plaindre, s’empressa de reprendre Irène, que la sévérité même de Litvinof semblait soulager ; je sais que vous devez me condamner, je ne me justifie pas ; je tiens seulement à vous faire comprendre mes sentiments, à vous convaincre qu’il n’y a pas maintenant en moi de coquetterie… Faire la coquette avec vous ! Mais cela n’a pas le sens commun ! Quand