Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/141

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

passé entre nous ? Pas maintenant, sans doute, mais naguère… à Moscou.

— Mais nous avions décidé, vous m’aviez promis… dit Irène.

— Je n’ai rien promis ! s’écria-t-il. Excusez la vivacité de mes paroles, mais vous exigez la vérité ; jugez donc vous-même. N’est-ce pas à une coquetterie, que j’avoue ne pas comprendre, n’est-ce pas au désir de constater une fois de plus votre influence sur moi, que je puis attribuer votre… je ne sais comment dire… votre insistance ? Nos routes sont maintenant si différentes ! J’ai tout oublié, je suis devenu un autre homme ; vous êtes mariée, heureuse, du moins en apparence ; vous jouissez dans le monde d’une position enviable, pourquoi donc ce rapprochement ? Nous ne pouvons plus nous comprendre l’un l’autre ; il n’y a plus rien entre nous de commun, ni dans le passé ni dans l’avenir… surtout… surtout dans votre passé.

Litvinof prononça toutes ces phrases à la hâte, avec saccades, sans tourner la tête. Irène ne bougeait pas ; seulement de temps en temps elle lui tendait imperceptiblement les mains ; elle semblait le supplier de s’arrêter, de l’écouter, et, à sa dernière parole, elle se mordit la lèvre inférieure comme si elle eût senti la piqûre d’un dard aigu.

— Grégoire Mikhailovitch, reprit-elle avec une voix déjà plus calme, — et elle s’écarta encore davantage de l’allée, où il y avait quelques rares promeneurs. Litvinof la suivit à son tour. — Grégoire