Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/147

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CHAPITRE XIII


Litvinof laissa la duchesse s’éloigner avec sa suite et sortit aussi de l’allée. Il ne pouvait pas se rendre compte de ce qu’il éprouvait ; il ressentait de la honte et de l’effroi, mais en même temps sa vanité était flattée. L’explication d’Irène l’avait pris à l’imprévu, ses paroles ardentes et précipitées étaient tombées sur lui comme une grêle. « Elles sont étranges, ces femmes du grand monde, pensait-il, comme elles sont inconséquentes, comme elles sont gâtées par le cercle dans lequel elles vivent et dont elles sentent elles-mêmes l’inanité ! » En réalité, il répétait machinalement ces lieux communs, comme pour chasser d’autres réflexions poignantes. Il sentait qu’il ne fallait pas en ce moment s’abandonner à des réflexions sérieuses, car il serait probablement amené à se trouver coupable, et il marchait à pas lents, s’efforçant d’appliquer son attention sur ce qui l’entourait. Tout à coup, il se trouva auprès d’un banc, vit des jambes, leva la tête : ces jambes appartenaient à un homme lisant un journal, et cet homme était Potoughine. Litvinof poussa une légère exclamation ; Potoughine posa le journal sur ses genoux et