Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/153

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— Arrêtez, Sozonthe Ivanovitch, s’écria Litvinof. Nous envoyons cependant quelque chose aux expositions universelles, et l’Europe s’approvisionne de bien des choses chez nous.

— Oui, elle prend chez nous les matières brutes ; mais remarquez, monsieur, que ces matières brutes ne sont généralement bonnes que par suite de détestables circonstances : notre soie de cochon, par exemple, est longue et forte, parce que l’animal est chétif ; notre cuir est solide et épais, parce que les vaches sont maigres, le suif est gras, parce qu’on y laisse des lambeaux de chair… Du reste, pourquoi m’étendrais-je là-dessus : vous vous occupez de technologie, vous savez tout cela mieux que moi. On me parle de l’aptitude russe, eh bien ! voilà nos propriétaires qui se plaignent amèrement et éprouvent d’immenses pertes parce qu’il n’existe pas de machine à sécher qui les délivre de la nécessité de mettre leurs gerbes dans des fours, comme du temps de Rurick ; ces fours causent un déchet effrayant et brûlent sans cesse. Les propriétaires se lamentent, et il n’y a toujours pas de machines à sécher. Or, pourquoi n’y en a-t-il pas ? Parce que l’Allemand n’en a pas besoin : il bat son blé humide ; il n’a pas par conséquent à se préoccuper de cette invention, et nous n’en sommes pas capables, nous ne sommes même pas capables de cela ! À partir d’aujourd’hui, dès que j’apercevrai quelque part un de ces diamants bruts, un de ces génies inventifs et naïfs, je lui crierai aussitôt : « Halte-là ! où est la machine à sé-