Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/154

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cher ? » Mais ils s’occupent bien de cela ! Ramasser un soulier éculé, tombé depuis longtemps des pieds de Saint-Simon ou de Fourier, se le poser respectueusement sur la tête et le porter comme une relique, nous sommes capables de cet effort ; ou bien compiler un petit article sur la valeur historique et contemporaine du prolétariat dans les principales villes de France, nous pouvons encore faire cela ; mais un jour j’ai essayé de proposer à un de ces écrivains d’économie politique, comme M. Vorochilof, de me nommer vingt villes de cette même France, et savez-vous ce qui est arrivé ? Il est arrivé que, pour compléter le chiffre, le politico-économiste s’est trouvé réduit à me nommer Montfermeil, dont il s’est souvenu grâce à un roman de Paul de Kock. Il me revient ici en mémoire une anecdote. J’entrais un jour dans un bois avec un fusil et un chien.

— Vous êtes donc chasseur ? demanda Litvinof.

— Je tire un peu. J’allais chercher des bécassines dans un marais fréquenté, m’avait-on dit, par les chasseurs. J’entre donc dans un bois que des marchands avaient acheté pour l’arracher. Comme d’habitude, ils y avaient construit une maisonnette, une sorte de comptoir. — Je regarde : sur le seuil se tient un commis, frais et lisse comme une noisette écossée ; il ricanait à lui tout seul. Je lui demande : « Où est le marais, et y trouve-t-on des bécassines ? — Venez, venez, me dit-il aussitôt avec une expression de joie comme si je lui eusse fait cadeau d’un