Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/165

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considération dans le beau monde, parce que c’était la dernière demoiselle d’honneur de l’impératrice Catherine. À la fenêtre, costumée en bergère, était assise la comtesse Ch…, « la reine des guêpes, » entourée de jeunes gens parmi lesquels se distinguait, par son air arrogant, son crâne complètement plat et l’expression brutale de sa figure, digne d’un khan de Boukharie ou d’Héliogabale, le célèbre millionnaire, le beau Finikof ; une autre dame, également comtesse, plus connue sous le petit nom de Lise, conversait avec un spirite blond, blafard, à longs cheveux ; à côté de lui se tenait un monsieur également très pâle et portant une longue chevelure ; il souriait d’un air important : au spiritisme il ajoutait le don des prophéties, et expliquait avec une égale facilité l’Apocalypse et le Talmud ; aucune de ses prédictions ne s’était réalisée, mais cela ne l’embarrassait guère, et il continuait à prophétiser. Au piano était installé le diamant brut qui agaçait tant Potoughine : d’une main distraite il frappait des accords en regardant négligemment autour de lui. Irène était sur un divan, entre le prince Coco et madame X…, ex-beauté et ex-femme d’esprit, aussi dévote que méchante : mais l’huile de sacristie avait délayé le vieux venin. En voyant Litvinof, Irène rougit, se leva et, lorsqu’il s’approcha, lui serra vivement la main. Elle avait une robe de crêpe noir, avec d’imperceptibles ornements en or, qui faisait ressortir encore davantage son teint d’une blancheur mate ; son visage respirait le triomphe de la beauté, et elle