Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/184

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pas que peut-être tout cela ne serait pas arrivé si vous aviez autrement agi à mon égard… Sans doute, je suis seul coupable, ma présomption m’a perdu ; je suis justement puni et vous ne pouviez nullement vous attendre… ; sans doute, vous ne pouviez pressentir que le danger eût été moins grand pour moi si vous n’aviez pas si vivement ressenti votre faute… votre soi-disant faute, et si vous n’aviez pas désiré la réparer… Mais à quoi bon revenir sur le passé ! J’ai seulement voulu vous expliquer ma position : elle est déjà suffisamment pénible. Du moins, il n’existera plus, comme vous dites, de malentendus ; et la franchise de mon aveu diminuera, je l’espère, la mortification que vous devez éprouver.

Litvinof parlait sans lever les yeux ; du reste, s’il avait regardé Irène, il n’aurait pas pu voir ce qui se passait sur son visage, car elle le tenait comme auparavant caché dans ses mains. Cependant ce qui se passait sur ce visage l’aurait probablement surpris : c’était de la terreur et de la joie, un calme étrange et un effroi plus étrange encore ; ses yeux se cachaient à demi sous ses paupières baissées, une respiration longue et saccadée glaçait ses lèvres entr’ouvertes.

Litvinof se tut, attendant un réponse, un son… Rien !

— Il ne me reste plus, reprit-il, qu’à m’éloigner ; je suis venu prendre congé de vous.

Irène laissa ses mains tomber lentement sur ses genoux.