Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/192

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comme scellé au parquet. Elle dit encore une fois : « Adieu, oubliez ! » et, sans retourner la tête, elle disparut.

Resté seul, Litvinof eut de la peine à reprendre ses sens. Il se remit enfin, s’approcha vivement de la porte du cabinet, prononça le nom d’Irène une fois, deux, trois fois… Il avait déjà la main sur la clef, lorsque la voix sonore de Ratmirof se fit entendre sur le perron de l’hôtel.

Litvinof enfonça son chapeau sur ses yeux et descendit l’escalier. L’élégant général était devant la loge du suisse, et lui expliquait en médiocre allemand qu’il désirait louer une voiture pour toute la journée du lendemain. Apercevant Litvinof, il souleva de nouveau son chapeau d’une façon démesurée et lui présenta de nouveau ses « hommages ; » il se moquait de lui très clairement, mais Litvinof songeait à bien autre chose. Il répondit à peine au salut de Ratmirof, regagna son logement et s’assit auprès de sa malle déjà faite et cadenassée.

La tête lui tournait, le cœur lui tremblait comme une feuille. Qu’y avait-il à faire à présent ? Pouvait-il le prévoir ?

Oui, il avait prévu tout cela, quelque invraisemblable que ce fût. Cela l’avait étourdi comme un coup de tonnerre, mais il l’avait prévu, quoiqu’il n’osât pas se l’avouer. Cependant il ne savait rien de sûr. Tout en lui était mêlé et confondu ; il avait perdu le fil de ses propres pensées. Il se souvint de Moscou… là aussi tout avait disparu comme