Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/191

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Irène se tut derechef ; elle semblait égarée dans ses pensées.

— Vous m’avez prouvé votre amitié en revenant, dit-elle enfin. Je vous remercie, en somme, j’approuve votre intention de terminer tout au plus vite…, parce que tout retard… parce que… parce que moi, que vous accusez de coquetterie, que vous avez appelée comédienne, — c’est ainsi, ce me semble, que vous m’avez appelée…

Irène se leva soudain, et changeant de fauteuil, elle se pencha et colla son visage et ses mains sur le bord de la table.

— Parce que je vous aime !… murmura-t-elle entre ses doigts serrés.

Litvinof chancela comme si quelqu’un l’avait frappé dans la poitrine. Irène détourna avec angoisse la tête, comme si elle voulait à son tour lui cacher son visage et la coucha sur la table.

— Oui, je vous aime… et vous le savez.

— Moi ? moi, je le sais ? dit enfin Litvinof. Moi ?

— Maintenant, vous voyez, continua Irène, qu’il faut réellement que vous partiez, qu’il est impossible d’ajourner… pour vous et pour moi. C’est dangereux, c’est effrayant… Adieu, ajouta-t-elle en se levant du fauteuil avec véhémence, adieu.

Elle fit quelques pas dans la direction de son cabinet, et, allongeant sa main en arrière, elle l’agita dans l’espace comme si elle eût désiré rencontrer celle de Litvinof ; mais il se tenait loin,