Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/236

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— Eh bien, y a-t-elle consenti ?

— Ah ! Irène, quelle jeune fille ! quelle abnégation et quelle noblesse !

— Je crois, je crois ; du reste, elle n’avait pas d’autre conduite à tenir.

— Et pas un seul reproche, pas un seul mot d’amertume à l’homme qui a brisé sa vie, qui l’a trompée, qui la délaisse sans pitié !

Irène examinait attentivement ses ongles.

— Dis-moi, Grégoire, elle t’aimait ?

— Oui, Irène, elle m’aimait.

Irène se tut, arrangea sa robe.

— J’avoue, reprit-elle, ne pas comprendre parfaitement pourquoi tu as tenu à t’expliquer avec elle.

— Comment ! pourquoi, Irène ? Aurais-tu voulu que je mentisse, que je feignisse devant cette âme si pure ? ou bien supposais-tu ?…

— Je ne suppose rien, interrompit Irène. J’avoue que j’ai peu songé à elle ; je ne sais pas penser à deux êtres à la fois.

— Tu veux dire… ?

— Elle part, cette âme si pure ? interrompit de nouveau Irène.

— Je n’en sais rien, répondit Litvinof. Je dois encore la voir, mais elle ne restera pas.

— Bon voyage !

— Non, elle ne restera pas. D’ailleurs, je ne pense pas non plus à elle ; je songe à ce que tu m’as dit, à ce que tu m’as promis.