Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/262

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avec un rire sardonique. — Nous te trouverons là de l’occupation. » Voudrait-on faire de moi un gentilhomme de la chambre, par hasard ? — Qui est ce nous ? Voilà donc ce quelque chose de mystérieux et de difforme que je ne connais pas, qu’elle voulait essayer d’effacer, de jeter au feu ! Voilà ce monde d’intrigues, de relations secrètes, ce monde des Belsky et des Dolsky ! Quel avenir, quel magnifique rôle m’attend ! Vivre non loin d’elle, la fréquenter, partager la mélancolie corrompue de la dame à la mode, fatiguée du monde et ne pouvant cependant exister hors de lui, être l’ami de la maison et naturellement celui de Son Excellence… jusqu’à ce que le caprice passe, jusqu’à ce que le plébéien perde ce qu’il a de piquant et soit remplacé par le gros général ou par M. Finikof ; voilà qui est possible, agréable, voire honorable : ne parle-t-elle pas d’employer utilement mes « talents ? » Mais quant au « projet, » ce n’est que chimère, chimère… Il s’élevait dans l’âme de Litvinof des mouvements précipités et égarés, semblables aux rafales qui précèdent l’ouragan. Chaque expression de la lettre d’Irène augmentait sa colère ; il était surtout blessé des assurances qu’elle lui renouvelait sur l’inviolabilité de ses sentiments. « On ne peut pas laisser cela ainsi, s’écria-t-il enfin, je ne lui permettrai pas de disposer aussi cruellement de ma vie… »

Litvinof se leva brusquement et prit son chapeau. Mais que faire ? Courir chez elle ? Répondre à sa