Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/263

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lettre ? Il s’arrêta et laissa tomber ses bras. Oui, que fallait-il faire ?

Ne lui avait-il pas offert lui-même ce choix fatal ? Il ne fut pas tel qu’il le désirait, mais tout choix a son risque. Elle a manqué à sa parole, c’est vrai ; elle-même et la première, elle s’était déclarée prête à tout abandonner et à le suivre, c’est encore vrai ; mais elle ne conteste pas sa faute, elle se qualifie elle-même de femme faible, elle n’a pas voulu le tromper, elle s’est trompée elle-même. Que répondre à cela ? Du moins elle ne cherche pas de faux-fuyants, elle est franche jusqu’à la cruauté. Rien ne l’obligeait de s’expliquer aussi promptement ; elle pouvait lui faire prendre patience avec des promesses, traîner les choses en longueur, le laisser en suspens jusqu’à son départ avec son mari pour l’Italie. Mais elle avait empoisonné sa vie ; elle avait empoisonné deux vies ! Pourtant, vis-à-vis de Tatiana, ce n’était plus elle qui était coupable, c’était bien lui, Litvinof, lui, tout seul ; il n’avait pas le droit de repousser la responsabilité de sa faute, qui le tenait au cou comme un carcan de fer. Tout cela était bien ainsi ; mais que restait-il maintenant à faire ?

Il se rejeta de nouveau sur le siège, — et de nouveau, sombres et sourds, sans laisser de traces, avec une rapidité dévorante, se mirent à courir les instants…

« Et si je l’en croyais ? se dit-il tout à coup. Elle m’aime ; n’y a-t-il pas quelque chose d’inévitable,